Objet d’attraction touristique dans un passé récent, les singes sacrés de Soko se font de moins en moins visibles. Ces animaux “domestiques” payent-ils le prix de leur désacralisation ?
La création de Soko, localité sise à 7 km de Bondoukou, se confond avec l’origine de ses singes. Ces derniers ont fait connaître ce village peuplé de Nafana au-delà des frontières nationales. Et pour cause : des bandes de plantigrades sortaient des forêts alentour pour aller à la rencontre des habitants. Les simiens se gavaient ensuite de bananes. Une fois leur festin terminé, regagnaient sagement leur territoire en file indienne. Ces spectacles, qui satisfaisaient la curiosité de plus d’un touriste, font partie du passé.
Un peu d’histoire
Soko serait la déformation de “Solokolo” ou “le chemin des éléphants”, en langue nafana. Mélo, fondateur du village, était lui-même chasseur d’éléphants (Solo). Les mythes construits autour de ces singes sont nombreux. Certains racontent que les simiens auraient une origine liée à l’arrivée de Samory. Devant la menace suscitée par ce guerrier, les habitants auraient demandé à un devin de les transformer en singes afin d’être sauvés. Mais une fois le danger écarté, le féticheur n’eut pas le temps de redonner la forme humaine à ses “frères”. Il mourut. La population du village s’est reconstituée après.
Les descendants des habitants qui avaient été transformés, dans l’impossibilité de distinguer les primates sauvages de ceux “ancêtres”, ont décidé de sacraliser tous les plantigrades des forêts avoisinantes. Interdiction formelle de les chasser. Voilà comment l’animal est devenu totem à Soko.
Une autre légende dit que c’est une rivière qui est la déesse protectrice de Soko. Sacrés, les singes qui s’abreuvent dans ce cours d’eau. Dépassant donc le simple apprivoisement, ces animaux ont longtemps été idolâtrés.
Des singes de moins en moins visibles
Les liens sacrés multiséculaires entre Soko et ses êtres particuliers sont-ils en train de se rompre ? Rien n’est moins sûr. Un vendredi de juillet 2010, nous nous sommes rendu dans le village pour satisfaire notre curiosité. C’était le jour et l’heure indiquée : 17 heures. Nous avons passé plusieurs heures à attendre les mythiques singes. En vain. Grande fut notre déception. Et pourtant, ils n’étaient loin. Perchés sur les branches des arbres, à une hauteur proche du sol, les simiens ont refusé de descendre pour nous gratifier de leur scène habituelle. Pourquoi ? Les personnes interrogées ont répondu ceci : « les singes sont victimes de la chasse. Des gens mangent leur viande. Ce qui a réduit sensiblement leur nombre ». Deux jeunes, Ouattara Djibrila et Ouattara Sinan, avaient affirmé que les malheurs des singes sacrés ont commencé au début des années 2000.
En mai 2013, un journaliste de L’Intelligent d’Abidjan s’est rendu à Soko. Il a fait le même constat. A la question s’il y a encore des singes dans le village, un instituteur en poste dans la localité a répondu : « il n’y en a plus ! Pendant la crise postélectorale, des gens les ont tués et mangés ! ». La crise a accéléré les choses. Des chasseurs en ont profité pour s’introduire dans les forêts et tuer les primates. Puis, les ont proposés comme gibier sur les marchés de la région. Conséquence, ceux ayant eu la chance d’être en vie se méfient des malices qui les faisaient venir aux touristes. Si vous voulez, ayez une banane en main ! Ils s’en foutent.
Les singes millénaires ne pouvaient pas connaître triste sort que ce que le braconnage leur inflige. Ni attendre mauvaise fin que de se retrouver en morceaux dans des sauces. Avec la disparition progressive des primates, l’économie locale s’est écroulée. Plus aucun touriste. Au grand dam des jeunes de Soko.
OSSÈNE OUATTARA