Comme moi, qui se souvient que l’année dernière le gouvernement avait initié un programme national de réhabilitation routière dans les villages et départements pour que les habitants se déplacent plus aisément dans les régions ? Et surtout, qui peut me dire que les routes de chez lui ont connu une cure de jouvence depuis ?
Ce programme, qui court de 2023 à 2025, avait servi de prétexte à nos ministres de se balader dans leurs hameaux d’origine avec de longs cortèges de véhicules haut de gamme pour porter « la bonne nouvelle » à « leurs parents ». C’est à Wélékéhi (près de Bondoukou), le 17 juillet 2023, que le programme a été lancé dans le Gontougo. Ce jour-là, des machines de chantier étaient bien exposées aux yeux de tous. On nous avait dit que 4.500 kilomètres de routes connaîtraient un reprofilage dans cette région. L’information avait été accueillie avec des applaudissements. Doublés de l’invariable phrase devenue un poème appris par cœur par chaque ministre et qu’aucun ne manque de réciter : « la reconnaissance envers le chef de l’État, Alassane Ouattara, pour avoir rendu possible la réalisation de ce programme ».
Personne ne se doutait que plus d’une année après, il ne se passerait rien sur le terrain. Nous sommes aujourd’hui le 28 juillet 2024. Dans seulement 5 mois, on sera en 2025, année où ce fameux programme d’entretien routier prend fin. Un acte de bienfaisance imaginaire qui a valu aux ministres de recevoir poulets et caprins en cadeaux de la part des pauvres villageois qui, de bonne foi, croyaient à l’effectivité du projet annoncé.
Pour voyager vers des villes telles Sandégué, Kouassi-Datékro, Assuéfry, Transua, Tabagne, c’est toujours et encore avec beaucoup de difficultés qu’on y parvient. Pour aller dans mon village, c’est comme si le diable me montre son chemin. Mais je n’ai pas les moyens de m’y rendre en hélicoptère. Ce sont nos riches ministres qui s’offrent ce luxe. Preuve qu’ils sont bien conscients que les routes qui mènent à leurs villages sont si dégradées qu’elles sont devenues risquées pour eux de s’y mettre.
Dans le Gontougo, l’ « Éléphant » a tellement marché sur la route qu’il y a laissé des trous partout. Si profonds que ce ne sont plus des nids-de-poule mais des « nids-d-Éléphant ». Pour éviter de tomber dans les crevasses provoquées par son propre poids dans la région et se casser le pied, il les saute en empruntant la voie des airs pour aller chez lui. Hormis la route bitumée (La nationale A1) qui part d’Abidjan à Bouna, traversant Koun-Fao, Tanda et Bondoukou, aucune autre route départementale n’est goudronnée. Celles en terre ne sont pas entretenues et font le bonheur de bandits de tout acabit. Le confort qu’on ressent sur La A1 s’arrête d’ailleurs à Bondoukou. Le reste du tronçon jusqu’à Bouna, très dégradé.
Pourquoi aller vers des populations rurales qui n’ont rien demandé et leur promettre quelque chose alors qu’on sait, dans son âme et conscience, que la chose promise ne leur sera pas donnée ? Comment arrive-t-on à bien se coucher la nuit, c’est-à-dire « dormir sur ses 2 oreilles » lorsqu’on sait qu’on a sciemment abusé de la crédulité de pauvres villageois ? Surtout, comment peut-on avoir le courage de repartir vers ces mêmes populations et leur promettre encore des merveilles ? Il faut convenir avec Hannah Arendt, dans le tome 3 de son livre Les origines du totalitarisme que « la vérité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques » et que « le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques ». Mais aussi paradoxal, ces menteurs continuent à être applaudis par ceux qu’ils « blaguent », trompent et abusent à longueur de journée.
Dans le sillage du « flatteur qui vit aux dépens de celui qui l’écoute », les promesses politiques n’engagent-elles pas finalement ceux qui y croient ? Je reviens encore à Hannah Arendt qui dépasse ici une certaine conception péjorative du mensonge politique. Elle écrit dans La crise de la culture que « le menteur est acteur par nature ; il dit ce qui n’est pas parce qu’il veut que les choses soient différentes de ce qu’elles sont (…). Il tire parti de l’indéniable affinité de notre capacité d’agir, de changer la réalité, avec cette mystérieuse faculté que nous avons, qui nous permet de dire « le soleil brille » quand il pleut des hallebardes. (…) notre capacité à mentir fait partie de quelques données manifestes et démontrables qui confirment l’existence de la liberté humaine ».
OSSÈNE OUATTARA