Dans cette interview qu’il nous a accordée mardi 2 septembre, le président de la Mutuelle des entrepreneurs du District du Zanzan (MEDZAN) parle de cette organisation. S’il y avait eu une ferveur populaire autour de sa naissance, les ardeurs se sont refroidies. Kouamé Casimir donne les raisons avant de bondir, en « leader éclairé », sur son engagement communautaire dans la circonscription 074 qui regroupe les sous-préfectures de Laoudi-Ba, Bondo, Taoudi, Yézimala et Sapli-Sépingo. Il appelle avec force l’érection de sa circonscription en département pour sortir ses villages de la léthargie.

D’où venez-vous ?
Je suis Kouamé Casimir, né à Torrosanguéhi. Ce village appartient à la sous-préfecture de Laoudi-Ba, dans le département de Bondoukou.
Est-ce dans cette localité que vous aviez fait vos premiers pas à l’école ?
Non. Après ma naissance, j’ai suivi ma mère à Grand-Béréby où était mon père. Il travaillait dans une plantation. Mais c’est à San-Pedro que je suis allé à l’école. C’était en 1999. Après le cycle primaire, j’ai commencé le secondaire au lycée public de cette ville. En classe de 4e, vu mon âge assez avancé, le conseiller d’orientation m’a suggéré d’entrer dans un centre de formation professionnelle. En 2010, je me suis présenté au test d’entrée au centre de formation professionnelle de Gagnoa, option maçonnerie. Et ça marché.
Et la suite ?
Après l’obtention du CAP [Certificat d’aptitude professionnelle], j’ai été orienté à Abidjan pour le BT [Baccalauréat professionnel]. Une fois acquis, je me suis lancé dans la vie professionnelle. J’ai travaillé dans des entreprises spécialisées dans le bâtiment. Parallèlement, j’ai suivi des cours en ligne qui ont été sanctionnés par un master en bâtiment délivré par l’IUTEA [Institut universitaire technologique eudiste d’Afrique].
Vous êtes aujourd’hui chef d’entreprise ? Comment vous est venue l’idée de s’installer à son propre compte ?
L’école professionnelle donne envie d’entreprendre. Tout au long de ma formation, j’ai appris un métier de main : la maçonnerie. Dans cette discipline, j’ai eu le CAP. Ensuite un BT pour être technicien et chef de chantier. Après, j’ai travaillé dans des sociétés. Mes expériences m’ont amené à créer ma propre entreprise en 2020.
Comment s’appelle-t-elle ?
L’entreprise s’appelle 2K Building & Services. Elle intervient dans les domaines du bâtiment et des travaux publics.
Se porte-t-elle bien ?
Avec ses 14 salariés, l’entreprise avance pas à pas. Ce n’est pas facile d’avoir des marchés. On soumissionne de temps en temps à des appels offres publiques et privées. Nous avons déjà travaillé avec pas mal de sociétés privées.
N’est-ce pas la suite logique de votre parcours scolaire et professionnelle en prenant la présidence de la MEDZAN ?
En effet. C’est ainsi que je suis devenu le président de la MEDZAN [Mutuelle des entrepreneurs du District du Zanzan]. J’ai été investi le samedi 17 septembre 2022, à l’auditorium de l’immeuble Caistab, au Plateau.
L’idée de cette structure est venue de vous ?
Oui je suis l’initiateur. La MEDZAN est le résultat d’un constat alarmant. Celle de voir des projets qui sont exécutés dans notre région, mais aucun ou très peu sont attribués aux jeunes entrepreneurs locaux. Ne serait-ce que les associer à l’exécution des projets afin de leur permettre d’acquérir plus d’expériences dans l’entreprenariat. En même temps, je me suis dit que c’est parce que nous, entrepreneurs locaux, sommes dispersés. On ne saurait donc comment nous contacter en cas de besoin. La parade, c’est de mettre en place une mutuelle des entrepreneurs.
Quels objectifs vous lui avez assignée ?
L’objectif principal, c’est de nous faire connaître. De sorte à créer un réseautage où les novices pourraient être parrainés par les anciens. C’est-à-dire les conseiller pour qu’ils évitent de commettre les mêmes erreurs que les anciens entrepreneurs.
En quoi faisant concrètement ? Donnez un exemple !
Je suis ingénieur en bâtiment, mais pas fournisseur de matériaux de construction. Si un des membres de la mutuelle est fournisseur de sable ou gravier, je lui fais appel pour m’en livrer lorsque j’ai un chantier de construction. Tout le monde sort gagnant en fin de compte. Voilà ce qui se cache derrière le réseautage. J’en ai parlé à des amis et ensemble nous avons mis en place la MEDZAN.
En tant que le président, quelles actions avez-vous déjà posé ?
J’ai commencé par une série de formations à l’intention des membres. Il a fallu implanter des bases de la mutuelle dans le District du Zanzan et nommer des coordinateurs. À leur tour, ces coordinateurs ont constitué des bureaux dans des départements et même dans des villages. C’est un réseau élargi que j’ai d’abord mis en place avant de commencer les formations.
Sur quoi ont-elles porté ?
J’ai la conviction qu’un entrepreneur sans formation ne peut pas atteindre d’objectifs. Nous avons formé et informé. Les informations ont porté sur les marchés publics. Par exemple, comment soumissionner aux appels d’offre, quelles sont les erreurs à ne pas commettre, etc.
Comment se porte la mutuelle aujourd’hui ?
Les choses se sont bien passées au début. Il y avait de l’engouement. Mais en 2024, les activités se sont arrêtées.
Pourquoi ?
Les objectifs de la mutuelle étaient pourtant clairs. Cependant, des membres que je croyais entrepreneurs n’ont pas compris la vision. Ils pensaient que c’était pour distribuer des marchés. Certains ont voulu la politiser. Comme la mutuelle était née à l’approche des élections régionales, ils pensaient que sa naissance était faite à dessein pour vouloir être président de Conseil régional ou autre élu local. Donc ils étaient venus dans ce but, sans être entrepreneurs. Des gens avaient voulu associer la mutuelle à leurs événements politiques. Chacun de ses membres peut avoir son obédience politique. Mais pas la mutuelle. Il y a eu aussi un problème de leadership dans l’ensemble.
Soyez plus clair !
Dans ses débuts, la MEDZAN était très connue et forte. Des personnes voulaient l’écraser. Ces gens l’ont perçue comme une menace pour leur ego. Or l’objectif, en la mettant en place, c’était d’amener les hommes politiques de la région à penser aux entrepreneurs locaux dans la passation des marchés. Prenons un exemple. À la mairie de Bondoukou, il y a des marchés en appels d’offre et d’autres de gré à gré. Combien ont encouragé des entrepreneurs en leur donnant des contrats de gré à gré afin de leur permettre de quitter l’informel ? Voilà le but de la mutuelle : créer l’éveil chez nos politiciens pour qu’ils soutiennent les entrepreneurs. Sans des marchés, il ne peut y avoir d’entrepreneurs. Et sans entrepreneurs qui quittent l’informel, pas d’impôts et taxes dans les caisses des collectivités. Conseils régionaux et mairies.
Combien d’entrepreneurs la mutuelle a enregistré dans le Zanzan ?
On devait mettre en place l’annuaire des entrepreneurs. Mais le recensement n’est pas allé à son terme en raison des malentendus dont j’ai parlé. Nous allons relancer les choses. Cependant, nous disposons d’un groupe WhatsApp qui compte 150 entrepreneurs en activité. C’est l’annuaire qui devait décrire chaque entrepreneur : le nom de son entreprise, les informations sur ses activités, sa localisation dans le Zanzan, etc. Ensuite, on devait déposer le document dans les ambassades et dans les chambres de commerce. Ainsi, un opérateur qui a besoin d’un entrepreneur dans un domaine précis dans le District du Zanzan puisse le retrouver rapidement.
Dans quels secteurs intervient la majorité ?
La plupart des membres de la mutuelle sont dans le BTP. Viennent ensuite le commerce et le secteur de la culture.

Vous êtes en tournée chez vous dans la circonscription 074 presque chaque week-end. Cela répond à quoi ?
Ma circonscription compte 5 sous-préfectures qui sont Laoudi-Ba, Bondo, Taoudi, Yézimala et Sapli-Sépingo. Toute la circonscription compte 65 villages et plus de 130 campements. C’est la seule en Côte d’Ivoire disposant de 2 sièges de député à l’Assemblée nationale et qui n’est pas érigée en département. Cette situation fait qu’elle est dans une léthargie. Quelques-uns de ses villages doivent devenir chefs-lieux de sous-préfecture. Je parle de Flakièdougou, Torrosanguéhi, Dinaoudi, Kpanan. De gros villages qui ont besoin d’être encore plus proches de l’administration pour amorcer leur développement. Si moi, jeune cadre et leader d’opinion, ne fais rien pour les parents, qui le fera ?
D’où votre engagement ?
Absolument. Pour la petite histoire, ceux qui se sont battus pour l’érection de Bondo en sous-préfecture sont des illettrés. Ce sont nos parents paysans qui ont œuvré à ce changement de statut. Maintenant nous qui sommes allés à l’école et qui connaissons la définition du développent, que faisons-nous ? Notre responsabilité est grande. C’est pourquoi je me bats pour que ma circonscription ait d’autres sous-préfectures et 1 département. Et pourquoi pas 2 ? Le département de Bondoukou seul compte 12 sous-préfectures. Monsieur le préfet peut-il sillonner tous les villages et remonter leurs besoins de développement au gouvernement central ? Soyons pragmatique.
Pourquoi ne pas plutôt s’adresser au Conseil régional pour les besoins de votre circonscription ?
Avec 65 villages et plus de 130 campements, nous ne devons attendre que le Conseil régional ? Imaginez si la circonscription 074 a 1 département et dispose d’une commune, ses populations sentiraient moins les difficultés qu’elles endurent actuellement. Je sillonne donc les villages pour faire l’éveil des consciences sur la nécessité de se lever tous et se mettre ensemble afin de montrer que notre secteur a besoin d’être érigé en département pour son développement.
Avez-vous dans ce sens entrepris des démarches auprès de l’administration ?
Bien sûr. Nous avons déposé des courriers de demande à la préfecture de Bondoukou. Puis au ministère de l’Intérieur et à la Primature, à Abidjan.
Quelles ont été les réponses ?
Personne ne nous a répondu jusqu’à présent. Ce silence des autorités m’inquiète. Ailleurs, des villages qui ne rivalisent pas en grandeur et en nombre d’habitants avec certains de notre circonscription sont érigés en communes. Pourquoi pas chez nous également ? Pourquoi nous n’avançons pas ? Je m’interroge.
Si demain vos doléances sont acceptées, Kouamé Casimir se lancera-t-il en politique en visant un post de député par exemple ?
Pour l’instant, l’idée ne me traverse pas l’esprit. Mais si c’est mon destin, je ne m’y échapperai pas. Néanmoins je suis conscient que mes tournées dans les villages de la circonscription font partie du rôle réel d’un député. C’est lui le porte-parole du peuple. Raison pour laquelle il a un siège au Parlement. Mais nous ne voyons rien sur le terrain. D’ailleurs des gens mettent une coloration politique à mes tournées. Si les actions que je pose pour le bien-être de mes parents sont interprétées comme faire de la politique, alors nous en ferons.
Quelles difficultés spécifiques les populations rencontrent ?
Généralement, ce sont des problèmes d’eau potable. Comment explique-t-on que dans un village un château d’eau a été construit en 2018 avec l’argent des contribuables et que depuis, cette infrastructure n’est pas mise à disposition des populations pour qu’elles aient de l’eau propre à boire ? Nous sommes en 2025. Lorsqu’on parle de cela, on accuse de faire de la récupération politique. C’est dommage.
Vous parlez du cas à Dinaoudi ?
Pas seulement à Dinaoudi. On trouve le même cas à Donvagne et à Kpanan. Torrosanguéhi a eu plus de chance dans cette affaire.
Quel autre message souhaitez-vous passer ?
Tout n’est pas que politique. Des personnes ont peur de faire du bien à leurs communautés parce qu’elles se disent qu’en le faisant, on leur collera une étiquette. J’appelle les cadres à faire fi de cela et à investir chez eux.
Propos recueillis et retranscrits par OSSÈNE OUATTARA



