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samedi 20 décembre 2025
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Boblaï Isabelle : « je suis de Tanda et j’ai compris que si on n’a pas reçu mandat du peuple, on ne peut pas parler en son nom »

Dans la région Gontougo, elle est la seule femme candidate aux élections législatives du 27 décembre 2025, au milieu d’une pléthore d’« étalons » en lice pour le même scrutin. Boblaï Douassoh Isabelle voit grand pour Tanda, la ville de sa défunte mère. La décision de la « serial entrepreneure » de se lancer en politique est partie d’un constat. « En tant que cadre, l’argent qu’on donne ici et là en guise d’aide n’a pas d’impacte sur le quotidien des populations. À un moment, il faut s’impliquer autrement dans la vie communautaire. J’ai compris que si on n’est pas un élu, si on n’a pas reçu mandat du peuple, on ne peut pas parler en son nom », explique-t-elle dans cette interview qu’elle nous a accordée jeudi 20 novembre à son bureau, logé dans le chic quartier Les Vallons, à Cocody (Abidjan). Elle a longuement évoqué son enfance à Toundiani, le vide laissé par la mort de son père et surtout celle de sa mère, ses études à l’étranger, son retour à Tanda et ses projets pour cette circonscription.

Vous aspirez à devenir députée de Tanda. Quelles sont vos attaches avec cette ville ?

Je suis en effet candidate aux Législatives prévues pour fin décembre 2025. Mon nom est Boblaï Douassoh Isabelle. Ceux qui connaissent la sociologie de la Côte d’Ivoire diront que je suis originaire de l’Ouest. Ils n’ont pas totalement tord. Mon père est de Kouibly. Ma mère, elle, vient de Tanda. Précisément de Toundiani.

Vous avez donc 2 moitiés. L’une de l’Ouest et l’autre du Nord-Est ?

Je comprends et ne parle que le koulango. C’est la langue de ma mère. Si on me demande de m’exprimer en guéré ou en wobé, j’en serai incapable. En raison du matriarcat qui prédomine en Côte d’Ivoire, mes frères et moi avons baigné dans l’environnement akan. Nous avons reçu la culture brong et koulango. Pour tout vous dire, j’ai reçu mon baptême en 1978 à Toundiani. Dans ce village, j’ai vécu une partie de mon enfance avec ma grand-mère Adja Gboko. Je me souviens que nous avions parcouru ensemble beaucoup de localités. On partait à Mantoumadja. Même à Assuéfry. Avant le décès de ma mère en 1994, on allait passer les vacances à Tanda. C’est pourquoi j’affirme que j’appartiens plus à cette ville qu’à une autre.

Vous y avez toujours de la famille ?

Bien sûr. Tout le carré de la grande mosquée de Tanda, c’est notre famille. Oncles, cousins et cousines y habitent. On a également des parents à Téhui, à Tanganmourou, à Béléouélé, à Diamba. J’ai de la famille dans plusieurs villages du département.

Qui était votre mère ?

Ma maman s’appelait Djabounou Kossia Thérèse. Elle fut la première femme à bénéficier d’une bourse pour étudier aux États-Unis. Puis, la première femme à enseigner l’anglais à l’université de Cocody. Intellectuelle, elle s’était investie dans le social et le communautaire. Ma mère n’avait de cesse de prôner la scolarisation des femmes du département de Tanda. Au plan politique, elle avait apporté son soutien à son ami Yao Kouman Moïse lorsque ce dernier visait la mairie, après l’érection de Tanda en commune. À l’avènement du multipartisme en 1990, elle a pratiquement été le numéro 2 du PIT, parti fondé par Francis Wodié.

Est-ce que vous partiez très souvent à Tanda ?

Avant le décès de maman, on y allait très souvent. Mais les choses ont coïncidé avec la fin de mes études ici à Abidjan et leur poursuite en Tunisie grâce à une bourse bilatérale que j’ai obtenue. Après une maîtrise en informatique dans ce pays du Maghreb, il fallait travailler sur place pour survivre. Mes deux parents étant morts. Je rappelle que mon père est décédé lorsque j’avais 8 ans. De 1994 à 2011, je n’étais donc pas en Côte d’Ivoire.

Et à votre retour au pays ?

Je suis revenue en Côte d’Ivoire en 2011. Ce n’était pas facile à cause du contexte politique général tendu. Je devais d’abord bien m’installer professionnellement. Cela, parce que si on veut apporter quelque chose à la communauté, on doit soi-même être assis. Lorsque je dis assis, ça veut dire on doit connaître. Pour pouvoir proposer aux autres, il faut connaître. C’était important pour moi de m’établir. Me construire quelque chose avant d’aller vers les autres. C’est pourquoi je suis devenue entrepreneure.

Les choses se passent donc bien ?

On peut le dire. Puisque j’ai repris la route de chez moi depuis quelques années. J’y allais pas fréquemment, mais je m’y rendais lorsqu’il y avait des activités à Toundiani et à Tanda. Je réagissais spontanément lorsque j’étais sollicitée pour diverses raisons. Je participais à beaucoup de manifestations dans ces localités. Surtout des femmes. Soit comme marraine. Soit donatrice.

Comment s’est passé le retour au village après tant d’années d’absence ?

Le décès de maman était brusque. Il y a eu un traumatisme. Elle était tout pour nous. À seulement 16 ans, comment j’aillais faire si je partais à Tanda ? Il y avait certes de la famille sur place, mais c’était maman qui nous accompagnait. Lorsqu’on arrivait, on saluait toutes les cours. Ce pilier n’était plus là. Je cherchais le chemin pour y aller. En 2019, mes frères et moi avions organisé à Tanda le 25e anniversaire de la mort de maman. Nous étions partis d’Abidjan avec des cars remplis de nos cousins, neveux pour honorer sa mémoire. Depuis, je n’ai pas cessé d’y aller.

Vous avez passé 25 années de deuil ? C’est si long.

C’était le moyen de revenir sur la terre de Tanda sans avoir la tristesse au cœur qui faisait peur. L’émotion de la perte était encore dans nos cœurs. Je ne voulais pas aller à Tanda pour pleurer. Je voulais y arriver et me sentir heureuse. Il fallait que je dépasse ce deuil qui me rongeait depuis 1994. Ce 25e anniversaire a définitivement guéri la plaie que constituait la perte de maman.

Professionnellement, qu’avez-vous fait en Afrique du Nord avant le retour en Côte d’Ivoire ?

Après la maîtrise en informatique en Tunisie, la BAD venait de s’installer à Tunis. Je me suis associée avec une avocate locale pour créer une entreprise. Nous avons travaillé ensemble pendant quelques années. Puis, je me suis installée au Maroc où j’ai créé une société de communication. Elle éditait le premier magazine de l’étudiant africain à l’étranger. Ce journal était distribué dans 5 pays.

Et en Côte d’Ivoire ?

À mon retour en 2011, j’ai fondé D&Z Consulting. C’est une société de conseils en communication internationale et stratégie de développement. On travaille pour les entreprises internationales. On a été agent-conseil continental pour la compagnie aérienne Royal Air Maroc. C’est nous qui avions fait la communication politique du candidat George Weah au Libéria. La campagne présidentielle et l’investiture lorsqu’il a été élu. C’est également ma structure qui a piloté la campagne présidentielle de Soumaïla Cissé au Mali, en 2018. On a eu d’autres succès ailleurs. Comme au Congo-Brazzaville. D&Z Consulting est depuis 2016 agence-conseil pour l’Agence de coopération de Singapour. Lorsqu’elle a des missions de prospection en Côte d’Ivoire, c’est à D&Z Consulting qu’elle confie l’organisation. J’ai aussi fondé la société Archicom qui intervient dans la construction et une 3e dans l’agriculture.

Que pouvez-vous dire sur vos activités à Tanda ?

Lorsque je me suis établie professionnellement et qu’au fond de moi je pense pouvoir apporter quelque chose aux communautés, je le fais. C’est pourquoi je suis membre de plusieurs Fondations qui apportent divers soutiens dans des villes et villages du pays. J’ai voulu initier des projets à Tanda dans le cadre des activités caritatives de ces Fondations. J’avoue que c’est pas facile.

Dans quel sens ?

En allant vers certains élus pour leur dire qu’on veut mener telle activité, ils font traîner le dossier. Les choses n’avancent pas. Je le dis clairement. Ils vous font déposer un courrier et après aucune suite.

Pouvez-vous donner un exemple de vos projets qu’un élu a volontairement fait traîner ?

Le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus des femmes de Tanda. C’est un projet que j’ai présenté en février 2025. J’ai dit à la Fondation Femmes Shunamites en Action que nous iront à Tanda pour le dépistage des femmes. J’ai donc soumis le projet aux autorités locales pour qu’elles s’y associent. Elles ont toutes acquiescé au début. Mais finalement, aucun des élus à qui nous nous étions adressés n’a donné suite. On avait pourtant arrêté une date pour ces consultations médicales importantes.

D’autres exemples ?

Il y a eu des projets de développement d’investisseurs qu’on a présentés. Personne n’y a accordé d’intérêt. Il y a même des structures étatiques d’insertion professionnelle de jeunes qui  ont des services dans des villes de l’intérieur. Vous ne trouverez ces services-là ni à Bondoukou ni à Tanda. J’ai demandé à certaines de ces structures pourquoi elles n’ont pas de représentations chez nous. Elles m’ont répondu que ce sont les élus qui doivent leur écrire pour réclamer leur présence dans ces villes. Ça veut dire qu’en tant que cadre, notre action est limitée. Seuls les élus ont reçu mandat des populations pour parler en leur nom et trouver des solutions. Les solutions existent, car déjà mises en place par le gouvernement. Mais pourquoi ces élus n’utilisent pas ces outils pour le développement de nos localités ?

Est-ce la raison de votre entrée en politique et de votre candidature aux Législatives à Tanda ?

En tant que cadre, l’argent qu’on donne ici et là en guise d’aide n’a pas d’impacte sur le quotidien des populations. À un moment, il faut s’impliquer autrement dans la vie communautaire. J’ai compris que si on n’est pas un élu, si on n’a pas reçu mandat du peuple, on ne peut pas parler en son nom. Si on veut avoir un impacte réel dans sa communauté, il faut que cette communauté nous donne mandat d’aller parler en son nom. C’est pourquoi j’ai décidé de m’investir dans la politique. J’ai pris cette décision sans regarder à gauche ni à droite. Sans demander à quelqu’un. Je suis orpheline. J’ai appris dès l’âge de 16 ans à ne pas poser de questions à un parent avant de me lancer dans quelque chose. Aller à Tanda en tant que candidate est la continuité de ce que ma défunte mère avait commencé. C’est-à-dire porter la voix des parents.

Revenons sur la campagne de dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus ! Après le faux bond de certains élus, l’avez-vous réalisée ?

Oui. Ça été une réussite. Pas moins de 1.000 femmes ont été dépistées. Ces séances gratuites ont duré tard dans la nuit. Jusqu’à 22 heures. Certaines femmes étaient arrivées sur le lieu depuis 5 heures du matin. D’autres sont venues de Koun-Fao et d’Assuéfry pour se faire dépister. Alors qu’on avait ciblé une quinzaine de villages bien déterminés autour de Tanda. La Fondation Femmes Shunamites en Action a profité de l’occasion pour distribuer aux femmes présentes des semences de gombo, tomate, concombre et piment.

Ces auscultations ont-elles révélé des maladies ?

Beaucoup de cas avérés. Nous verrons avec nos médecins de la Fondation ce qu’il se passe. Plusieurs jeunes filles ont en effet des kystes dans les seins. C’est pas normal. Des cas de cancer ont été diagnostiqués. Une femme en souffrait depuis 6 ans sans le savoir. Elle en est morte juste après son évacuation à Abidjan pour une prise en charge. La maladie l’avait rongée. C’est un épisode douloureux pour moi. Ça nous a marqués, les membres de la Fondation et moi. On ne comprend toujours pas comment une personne qui vivait avec ce mal depuis longtemps n’ait jamais mis les pieds à l’hôpital. Vraiment, c’est terrible. On a vu d’autres cas.

Comment expliquez-vous la situation ?

Pas de matériel de radiographie à l’hôpital de Tanda. C’est à Abengourou que partent celles qui ont un peu de moyens pour espérer faire les examens : scanner, radio et échographie spéciale. Médicalement, c’est difficile.

Quel regard portez-vous donc sur Tanda en termes de développement ?

Les prédécesseurs et ceux qui sont là actuellement ont fait ce qu’ils pouvaient. Vu le temps qu’ils ont passé aux affaires ou qu’ils sont toujours là, ils doivent donner l’opportunité aux autres de pouvoir apporter leurs pierres à l’édifice. Aujourd’hui, on doit aborder le développement autrement. Moi entrepreneure, je sais comment bâtir à partir d’une idée : élaborer une idée, la concrétiser et avoir des répercussions sur les populations. C’est pourquoi j’ai pour slogan de campagne « Ensemble, bâtissons Tanda ! ».

Comment allez-vous arriver ?

La réalisation des infrastructures relève du devoir du gouvernement. Il appartient à l’élu local d’insister auprès des autorités compétentes pour la réalisation effective de ces infrastructures au bénéfice des populations. Dans l’agriculture, on dit que la Côte d’Ivoire est premier pays producteur de noix de cajou. Les meilleures noix viennent du Nord-Est. Et aucune usine de transformation à Tanda dans laquelle peuvent travailler des jeunes ? On n’arrive même pas à acheter le kilogramme de cajou au prix officiel. Dites-moi, quelles sont les répercussions de notre position de premier rang sur les producteurs locaux ? Cette situation de désespoir constitue le terreau de l’orpaillage illégal. Avec la prostitution et l’insécurité comme corollaire. Le développement ne vient pas ex-nihilo. Il y a des actes à poser sur le terrain.

Quelles seront vos priorités dans la circonscription si vous êtes élue députée ?

Porter les voix de mes parents de Tanda à l’Hémicycle. Voir si les lois qui sont déjà votées pour leur bien-être sont appliquées. On m’a posé une question hier si je trouvais normal que des filles mineures qui ont déjà des enfants ne partent pas à l’école. J’ai répondu non, pas normal. La loi condamne cela. Mais cette loi est-elle appliquée ? Non. Il faut juste informer. La jeune fille, aussi bien que le jeune homme qui l’a engrossée, doit être informée sur cette loi. Les filles doivent être informées pour se préserver. En tant qu’élue, hormis le volet développement qui est dû à ma propre compétence d’entrepreneure, je vais mettre des sessions d’informations et d’échanges avec les populations sur les lois qui seront votées. Je veux être la voix du peuple de Tanda au Parlement. Et du Parlement vers les populations.

En quoi vous serez différente de vos prédécesseurs ?

Je serai plus proche des populations. Je sais déjà le faire. Si vous voulez aider quelqu’un, il faut avoir les moyens d’aider cette personne. J’ai la vocation et l’envie d’être proche des populations. Non pas pour distribuer des billets de banques car je n’en ai pas. D’ailleurs c’est malheureux les billets de banque qui sont distribués ici et là. On doit pas le faire. On doit plutôt chercher des solutions durables aux problèmes des gens, qu’ils aient accès au minimum vital. S’il n’y a pas de radiographie à l’hôpital de Tanda, ce n’est pas le maire de la ville qui doit l’acheter. Mais lui, le député ou un autre élu local peut jouer sur ses relations en vue de l’équipement de l’hôpital en ce matériel indispensable.

Vous parlez du relationnel ?

Le relationnel et la vision de l’élu peuvent jouer. Est-ce que ce dernier est préoccupé par la santé de ses populations ? Pensez-vous que si un élu informe le chef de l’État ou le ministre de la Santé que l’hôpital de Tanda ne dispose pas de matériel de radiographie, le président ou le ministre dira qu’il n’a pas de budget pour cela ? Impossible. On applaudit 3 kilomètres de bitume pour la ville de Tanda. Pourquoi faire ? Pour aller d’où à où ? Il faut une personne sincère qui comprend et se soucie du bien-être des populations. Cette personne peut aller défendre et chercher des solutions. Je me battrai pour chercher des solutions. Même s’il me faut faire un sit-in pour que l’hôpital de Tanda soit équipé, je le ferai.  C’est la différence entre moi et les autres qui étaient-là ou qui sont encore là.

Propos recueillis et retranscrits par OSSÈNE OUATTARA




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