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mardi 13 mai 2025
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EXCLUSIVITÉ : Le ministre Augustin Komoé raconte les conditions de son exil

Il a été ministre de la Culture et de la francophonie, puis des Mines et de l’énergie sous la présidence Gbagbo. Augustin Kouadio Komoé, un des éminents cadres du Zanzan, est spécialiste de la gestion des systèmes de santé publique. Dans ce long entretien (environ deux heures d’horloge) qu’il nous a accordé à sa résidence, jeudi 9 juillet 2015, cet orateur affable n’a éludé aucune de nos questions. Dans un style décontracté, le secrétariat général adjoint du FPI a dit ce qu’il pense de sa région natale, évoqué ses premières rencontres avec Laurent Gbagbo, sa vie de ministre… Il est surtout revenu sur les conditions de son exil, après l’arrestation de l’ex-président, le 11 avril 2011. Le natif de Kokomian (Koun-Fao), un homme marqué qui affirme avoir « payé un lourd tribut » à son engagement politique.

Le ministre Augustin Kouadio Komoé à son domicile, le 9 juillet 2015

Le ministre Augustin Kouadio Komoé, à son domicile, le 9 juillet 2015

Monsieur le ministre, vous êtes un des cadres du grand Zanzan, on voudrait connaître votre parcours scolaire et universitaire ?

Je suis né à Kokomian, localité située dans le département de Koun-Fao et érigée chef-lieu de sous-préfecture depuis seulement quelques années. C’est dans ce village et celui de Dimba que j’ai fait mes études primaires. Ensuite, j’ai fait le premier cycle de l’enseignement secondaire au CEG (collège d’enseignement général) de Bondoukou. Après le BEPC, j’ai été orienté en Seconde au lycée de Grand-Bassam où j’ai décroché le BAC en 1981. Orienté à la Faculté de droit de l’Université de Cocody [à l’époque, Université nationale de Côte d’Ivoire, NDLR], j’ai obtenu une Maîtrise en droit public quatre années plus tard, c’est-à-dire en 1985. Cette année-là, bien qu’étant admis au concours direct d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA), cycle supérieur des Administrateurs des services financiers, j’ai choisi de rentrer, par voie de concours également, à l’École nationale de la santé publique (ENSP) de Rennes, en France, pour une formation en gestion hospitalière et système de santé. J’ai fait partie de la première promotion de dix boursiers ivoiriens que l’État avait décidé de former dans le cadre d’un vaste programme de réhabilitation et de restructuration du système sanitaire ivoirien. Ce programme avait eu l’appui de la Banque mondiale. J’ai mis à profit mon séjour en France pour faire un diplôme d’Études supérieures spécialisées (DESS) en droit de la santé avant revenir en Côte d’Ivoire pour soutenir en 1988 à l’ENA, mon mémoire de fin d’études.

Vos expériences professionnelles                                     

J’ai fait l’essentiel de ma carrière professionnelle au ministère de la Santé, de 1989 à 2003. Mon premier poste fut celui de responsable financier du CHU de Treichville, en 1989. À cette époque, le système sanitaire ivoirien était en crise et ne répondait plus aux attentes des populations. Les hôpitaux, dirigés par des militaires, étaient dans une situation de délabrement avancé. Le plateau technique souffrait d’un manque d’entretien. Il n’y avait pas de médicaments, y compris ceux de première nécessité comme l’alcool dans les hôpitaux. C’était le triste tableau du système sanitaire du pays. C’est d’ailleurs la raison qui m’avait poussé à aller dans le secteur de la santé. Je voulais contribuer modestement au processus d’amélioration du système. J’aurais pu chercher à travailler dans les régies financières comme la Douane, Trésor et les Impôts qui attiraient les meilleurs étudiants de l’ENA.

Vous aimez le domaine de la santé sans être praticien ?

On peut le dire. Dans le secteur de la santé, il y avait un besoin réel de prise en main de la gouvernance du système, et en particulier celle des établissements sanitaires. Ce n’était pas faute d’avoir de bons médecins, infirmiers, sages-femmes et autre personnel d’appui, mais il fallait repenser toute l’organisation du système. J’ai donc décidé d’apporter ma pierre au redressement de la situation.

Qu’avez-vous apporté au système ? 

C’est nous qui avons doté les Établissements publics nationaux (EPN) du secteur de la santé de véritables équipes de direction structurées avec des procédures de gestion et de contrôle. Auparavant, l’administration hospitalière reposait essentiellement sur le directeur. Ce dernier était secondé par un surveillant général. Par la suite, j’ai dû faire une mission de redressement de quelques mois au CHU de Cocody confronté à des problèmes de gestion. J’ai effectué cette mission avec mon collègue Pierre Wolf, alors directeur du CHU de Yopougon, avec l’espoir que la direction de l’établissement me serait confiée. Contre toute attente, début 1991, le ministre de la Santé y a nommé un autre collègue et m’a confié la direction de l’Institut Raoul Follereau, qui a également le statut d’EPN à l’instar des Centres hospitaliers universitaires. Mais il est de moindre envergure et avait des problèmes plus importants.

C’était la première fois qu’on vous nommait ? 

C’était la première fois qu’on me nommait par décret, signé du préident Houphouet-Boigny, deux ans après ma première prise de fonction dans l’administration. Après y avoir passé deux ans, j’ai été nommé directeur du CHU de Treichville en 1994.Komoe-2 Je suis donc reparti dans cet hôpital où j’avais débuté ma carrière professionnelle. J’ai dirigé cet établissement jusqu’en décembre 1998, année où j’ai été muté au CHU de Yopougon. En 2000, j’ai été nommé Inspecteur de la santé publique, fonction que j’ai occupée jusqu’en 2002. À l’occasion d’un remaniement ministériel qui a vu, cette année-là, l’entrée au gouvernement du RDR qui avait boycotté la Présidentielle pour protester contre les conditions de l’élection du président Gbagbo, le professeur Richard Kadjo a été nommé ministre de la Santé en août 2002. Il m’a demandé d’assurer la direction de son cabinet. C’est un ami avec qui j’avais travaillé au CHU de Treichville. Mais les choses n’ont pas duré : un mois et demi après, il y a eu la rébellion armée qui a coupé le pays en deux. Avec les Accords de Marcoussis, le gouvernement est tombé et Richard Kadjo est parti. Je suis resté avec Albert Mabri Toikeusse, ministre issue des Accords jusqu’en juin 2003, avant de quitté mon poste de directeur de cabinet.

Était-ce un départ volontaire ? 

Non, c’est le ministre Toikeusse qui m’a dit de partir. Ce à quoi je m’attendais. En décembre de la même année, j’ai été nommé Inspecteur d’État avec les anciens ministres Koné Dramane et Koffi Koffi Lazare, aux côtés d’Aboudramane Sangaré qui était Inspecteur général d’Etat. J’y suis resté jusqu’en 2007. Cette année-là, à la faveur des Accords politiques de Ouagadougou (Burkina Faso), le président Gbagbo avait mis en place un nouveau gouvernement avec Soro Guillaume comme Premier ministre. Le président m’a fait l’honneur de me nommer au poste de ministre de la Culture et de la francophonie, en remplacement du ministre Mel Théodore. En 2010, j’ai quitté ce ministère pour occuper le département des Mines et de l’énergie. Après la Présidentielle de 2010 que nous avons gagnée mais que nous avons perdue (rires), j’ai été confirmé à ce poste. Après l’arrestation du président Gbagbo en avril 2011, je suis parti en exil au Ghana où je suis resté six mois avant d’aller au Maroc. En février 2014, je suis revenu en Côte d’Ivoire.

Comment avez-vous connu l’homme politique Laurent Gbagbo ?

Dès 1982, j’ai été recruté sur le campus de Cocody par mon ami feu Nango Kanga pour faire partie des cellules clandestines en vue de recevoir une formation politique et promouvoir les idéaux de démocratie. Je n’avais pas eu le privilège de rencontrer le président Gbagbo. C’est plutôt celle qui allait devenir son épouse quelques années plus tard que j’ai connue. C’est-à-dire Simone Ehivet Gbagbo. C’est à l’occasion de mes études en France que j’ai rencontré pour la première fois le président Gbagbo, en janvier 1986, par l’entremise du professeur Ouraga Obou dont j’étais l’étudiant à l’Université de Cocody. Il m’avait donné une note de liaison à remettre à Laurent Gbagbo. Ce dernier y était déjà depuis 1982, en exil.

Depuis cette date, vous êtes restés ensemble

Oui, nous ne nous sommes plus quittés ! C’est en notre présence que le président Gbagbo a eu son statut de réfugié politique, au terme d’une longue procédure politico-administrative. Il a habité chez son ami Guy Labertit, un ancien responsable du PSU [Parti socialiste unifié, NDLR]. Au cours de mon séjour en France, j’ai accompagné Laurent Gbagbo à de nombreux voyages et rencontres à l’intérieur de la France pour la promotion des idéaux de démocratie et de liberté auprès des compatriotes qui y étaient. C’est par son canal que j’ai connu plusieurs militants de la Gauche ivoirienne en France, comme Maurice Lohourignon, Thiery Bouikalo, Affian, Yahi Constance, etc. Lorsqu’il est rentré d’exil en 1988, j’ai eu l’honneur d’être son premier directeur de cabinet dans la clandestinité. C’est en cette qualité que j’ai pris part, avec le parrainage du professeur Ouraga Obou, au congrès constitutif du FPI [Front populaire ivoirien, NDLR] qui s’est tenu les 19 et 20 novembre 1988 à Dabou, dans une villa logée au milieu d’une palmeraie. Je faisais partie des vingt personnes ayant pris part à ce congrès au sortir duquel le frère Anaky Kobena a été arrêté.

Monsieur le ministre, vous étiez donc aux premières heures de la création du FPI ?

Bien entendu ! Je suis modestement une partie de l’histoire du FPI dont j’ai épousé l’esprit dès ma deuxième année d’études universitaires. Je ne suis certes pas à l’initiative de la création de ce parti car j’étais encore étudiant mais je me suis engagé dans sa cause, très tôt. J’ai pris des risques au même titre que ceux qui en ont pris l’initiative. Avec le professeur Danon Djédjé, le docteur Dakoury Benoît et bien d’autres, j’ai participé à la rédaction du premier programme de gouvernement du parti. C’est nous qui avons rédigé le chapitre relatif à la politique de santé. Au FPI, je n’ai aucun complexe. Aujourd’hui, lorsque j’entends des camarades nous invectiver et nous taxer de traîtres, ça me fait sourire ! Ces personnes-là ne savent pas d’où nous venons et quel est notre parcours au FPI.

Dites-nous, à quoi rime la vie d’un ministre ? C’est quoi, être ministre ? 

Être ministre, c’est beaucoup de responsabilités. Lorsqu’on vous nomme, vous sentez le poids des responsabilités puisqu’une partie du sort des populations est entre vos mains. C’est vous qui déterminez la politique du secteur qui vous est confié. Chaque poste ministériel sert à animer une partie de la vie de la nation. Les décisions du ministre ont un impact sur le vécu quotidien et l’avenir des citoyens. Vous devez trouver des solutions aux problèmes de la population. Dans les circonstances normales, avec un gouvernement issue de la majorité qui gouverne, les choses sont relativement simples dans la mesure où chaque ministre exécute une partie du programme de gouvernement sur la base duquel ladite majorité a été élue. Par anticipation, des défis ont été identifiés et des axes stratégiques ont dû être explorés avant la prise du pouvoir. Il en va différemment dans l’hypothèse d’un gouvernement de circonstance dont les membres et leurs mandants poursuivent des objectifs différents et souvent opposés. La vie du ministre est fonction de la perception qu’il a de ses responsabilités, des conditions de sa nomination ainsi que de la nature de l’équipe gouvernementale.

Un ministre, ce n’est donc pas la face visible de l’iceberg ?

Non, pas du tout ! Un ministre n’est pas fait pour parader uniquement. Pour peu qu’il soit consciencieux, il ne peut être ni oisif ni adepte des loisirs excessifs. Votre responsabilité est d’autant plus grande que la vie de millions de personnes dépend de votre action. Par exemple, dans le cadre d’un gouvernement d’union dont l’objectif est de restaurer la paix et la cohésion sociale, l’attitude des ministres déterminera le degré d’engagement pour cette cause. Personnellement, ma vie était partagée entre mes activités professionnelles de mon département ministériel et celles liées à l’animation de mon parti politique. Il me restait très peu de place pour ma famille et pour mes amis. Il m’arrivait de revenir d’une mission et de repartir le lendemain. En période de crise, les choses apparaissent plus difficiles. Comme cela a été le cas pour moi en 2010, avec la pénurie d’énergie qui a entraîné les coupures intempestives de l’électricité. J’étais le ministre le plus exposé en cette période-là.

C’était pas facile pour vous alors !

La situation a empiré au cours de la crise postélectorale, notamment avec l’embargo imposé par l’Union européenne sur les fournitures des biens de consommation. Comment continuer à assurer l’approvisionnement du pays en énergie et en hydrocarbures, sachant que tous les autres secteurs de la vie nationale dépendent de l’énergie ? On m’appelait souvent à des heures indues pour me dire que le circuit d’alimentation électrique de la résidence du président de la République a été saboté. La SIR [Société ivoirienne de raffinage, NDLR] avait pratiquement fermé, faute d’approvisionnement en brut. J’étais interpelé nuit et jour par des collègues membres du gouvernement, le chef de l’État lui-même et les populations en détresse. Souvent, on vous pose des problèmes pour lesquels vous n’avez aucune solution. Et si par malheur un scandale éclate dans votre ministère, c’est vous qui prenez les pots cassés. Cela dit, ce n’est pas non plus l’enfer. Au contraire, on éprouve toujours beaucoup de fierté à servir son pays à un si haut niveau.

Avant d’entrer au gouvernement, on n’attendait pas trop parler de vous dans le Zanzan, malgré les hautes fonctions que vous occupiez dans l’administration publique. À quoi cela est dû ? 

Si vous parlez du Zanzan en général, oui ! Mais dans les départements de Koun-Fao et Tanda, j’étais connu puisque j’y assumais depuis quelques années déjà des responsabilités politiques pour le compte de mon parti. Dès 2005, j’étais directeur départemental de campagne du président Gbagbo dans le département de Tanda qui a éclaté pour donner deux autres départements : Koun-Fao et Transua. J’ai milité dans des associations de développement. En 2000, j’ai même été membre fondateur d’une association appelée Mutuelle pour le développement du pays Bona (département de Koun-Fao). Lorsque j’étais en fonction au ministère de la Santé, je me suis occupé des problèmes de santé de nombreux compatriotes de la zone. Donc, beaucoup de personnes me connaissaient. De 2000 à 2007, avant d’entrée au gouvernement, j’ai travaillé activement avec les frères de Bondoukou. Notamment, avec Sécré Richard, qui était le président du Conseil général. Mais j’ai mené des actions encore plus visibles dans toute la région lorsque je suis rentré au gouvernement. J’étais le seul ministre FPI de la région et il était important que j’assure ce leadership politique dans la zone. Cela m’a amené à parcourir toute la région. Je suis allé jusqu’à Bouna.

Monsieur le ministre, les jeunes affirment très souvent que leurs cadres ne font rien ou pas assez pour le Zanzan, leur région. Entendez-vous ces récriminations ? 

Bien sûr (rires). Bien sûr…

Ces récriminations sont-elles fondées ? 

Il faut situer ces récriminations dans un contexte de pauvreté générale du pays et de notre région. Notre région fait partie des zones les plus pauvres de Côte d’Ivoire. C’est la région où le taux de scolarisation est faible. Notamment, celle de la petite fille. Ce qui explique d’ailleurs le phénomène des filles du Zanzan utilisées comme servantes à Abidjan. Les jeunes qui ont eu la chance d’aller à l’école ne travaillent pas non plus. C’est dans le désespoir que ces jeunes s’adressent à leurs aînés que nous sommes. Donc, c’est le contexte général de pauvreté et d’absence de politique réelle pour la prise en charge de la jeunesse ivoirienne. Voilà ce que vit la jeunesse de notre région. Évidemment, nous sommes les personnalités proches de ces jeunes. C’est normal qu’ils s’adressent à nous.

Pour l'ancien ministre des Mines et de l'énergie, "aucune cotisation de fonctionnaire ne peut développer une région"

Pour l’ancien ministre des Mines et de l’énergie, « aucune cotisation de fonctionnaire ne peut développer une région »

Et quelles sont vos solutions, en tant que cadre ?

Que peuvent faire des cadres ? Au plan individuel, les cadres ne peuvent rien faire. Les cadres de l’administration ou ceux du secteur privé ne peuvent pas, à eux seuls, développer une région. C’est le rôle de l’État d’avoir une politique de développement local. La responsabilité des cadres pour le développement des régions est certes importante. Mais ils ne sont que des courroies de transmission des préoccupations des populations au pouvoir. Avec toute la volonté souhaitée, les cadres ne peuvent assurer seuls et par le moyen de cotisations, le développement de la région. Ce sont les projets étatiques qui peuvent enclencher le développement d’une région. La politique de décentralisation poussée avec la mise en place des ex-conseils généraux de département était un début de solution aux problèmes de développement local. À condition que le transfert des compétences et des ressources soit effectif et que les élus en fassent un bon usage.

Par la force des choses, vous êtes devenu un des animateurs de la scène politique nationale. On vous voit aux côtés de Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, principal parti de l’Opposition. Le Zanzan doit-il s’en réjouir ? Et pourquoi ?

Chaque fois qu’un fils du Zanzan s’engage dans une entreprise dont la finalité est la recherche de l’intérêt général, la région doit s’en féliciter. Mieux, le Zanzan doit encourager ses fils à assumer des responsabilités dans tous les compartiments de la vie nationale. Cela est à l’honneur de notre région. Il est vrai que la politique, sous les Tropiques, est une activité délicate et même dangereuse. Et la crise postélectorale de 2010, avec les violences qui l’ont caractérisée, atteste du niveau élevé du risque politique chez nous. Personnellement, j’ai payé un lourd tribut à mon engagement politique. J’ai échappé de justesse à un massacre de toute ma famille avant de me retrouver en exil pendant trois longues années. Cela n’a pas coupé ma détermination et ma conviction politique. Comme je vous l’ai indiqué plus haut, j’ai toujours été au service de l’intérêt général, aussi bien au niveau professionnel que politique. À ces deux niveaux, aucune clameur ne s’est élevée pour mettre en cause ma sincérité, ma loyauté et mon honnêteté. Aujourd’hui, je suis secrétaire général adjoint du FPI aux côtés du président Affi N’Guessan avec qui j’ai beaucoup d’affinités. Ce poste est dans la continuité de mon engagement politique.

Avez-vous un projet particulier pour cette région, la vôtre ? 

Je n’ai pas de projet particulier dans la région. Je demeure à la disposition de mon pays et de ma région pour apporter ma modeste contribution à leur développement. J’ai accumulé une masse d’expériences que j’ai hâte de mettre à la disposition de mes compatriotes. Je réfléchis sérieusement à l’éventualité d’un engagement plus ferme dans la politique de développement local. Jusqu’à présent, je me suis tenu loin de la compétition politique régionale mais je reçois de plus en plus d’appels à réviser cette position.

Selon vous, quelle est la priorité aujourd’hui dans le Zanzan ?

Les priorités dans le Zanzan sont nombreuses en raison du retard que cette région accuse dans le domaine du développement économique et social. Mais par souci d’efficacité, nous devons veiller à la cohésion au sein des cadres de la région, quels que soient leurs bords politiques. Nous devons nous retrouver autour d’un projet régional enrichi de l’apport des différentes composantes de la région pour insuffler un réel développent dans le Zanzan. Au plan social, il faut mettre l’accent sur la formation. Partout dans le Zanzan, il faut construire des écoles et encourager les parents à scolariser les enfants. Ensuite, il faut aider à installer dans les chefs-lieux de département des unités de transformation de premier niveau des matières premières agricoles. Je pense notamment aux noix de cajou qui sont produites en abondance dans la région. Les produits vivriers ne sont pas en reste. Il faut trouver les moyens de les conserver longtemps pour permettre aux populations d’en tirer profit. Le déficit énergétique de la région doit être comblé pour non seulement apporter un bien-être aux populations, mais également pour favoriser le développement d’activités économiques en vue de la résorption du chômage.

Quels sont vos rapports avec les autres cadres de la région, membres des autres formations politiques que le FPI, votre parti, notamment le RDR et le PDCI ?

Mes rapports avec les cadres de la région sont très bons, à quelques exceptions près. Le RDR vient de faire son entrée dans la région à l’occasion des dernières élections et le pouvoir actuel a fait la promotion de quelques cadres avec qui j’avais de bons rapports et que j’ai maintenus. Avec les cadres du PDCI qui était le patron de la région avant notre arrivée, j’ai de très bons rapports également. Que ce soit à Koun-Fao, Tanda, Bondoukou et Bouna, j’ai de très bons rapports en général. Au point que pour ces cadres, je suis considéré comme le plus ouvert dans mon parti. Pour moi, le fait de militer dans des partis politiques différents ne fait pas de nous des ennemis, si tant est que nous ambitionnons d’apporter par notre action politique le bien-être aux populations. Je respecte les cadres des autres partis politiques.

Est-ce que vous vous rendez souvent visite ?

Oui, je rends visite à certains ! Mais on ne peut être l’ami de tout le monde. Mes rapports avec certains sont difficiles pour des raisons que je ne m’explique. Moi j’essaie d’être avec tout le monde. Récemment, j’étais à Lomo (Tanda) pour l’enterrement du père d’un ami qui n’est pas militant du FPI. Je fréquente le président du Conseil régional. J’ai d’excellents rapports avec le directeur de cabinet adjoint de la ministre déléguée à l’Économie. Par exemple, dès que je suis rentré d’exil l’an dernier, j’ai appris que la ministre Kaba Nialé se rendait dans une localité de Tankessé, près de mon village. Pour des raisons de deuil, je n’ai pu être présent et je m’y suis fait représenter pour l’accueillir en tant que sœur d’abord et autorité ensuite. C’était tout à fait normal que je sois là, bien que la manifestation fut organisée par le député RDR qui m’avait fait l’honneur de m’inviter. Si des cadres du RDR de la région posent des actes en faveur de la région, je suis avec eux. Si des cadres du PDCI le font, je suis avec eux. Et je ne trouverai aucun inconvénient à participer à un Conseil régional dans lequel siègent les cadres d’autres partis politiques que le mien. Ça ne me gênerait pas du tout, car il s’agit du développement de la région.

Cependant, monsieur le ministre, lorsque vous étiez aux affaires, des indiscrétions ont avancé de mauvais rapports entre vous et une figure régionale du FPI. Il s’agit de Kouamé Sécré Richard, alors président du Conseil général de Bondoukou, puis ministre comme vous. Qu’en est-il ?

Sécré Richard est un ami (rires).

Étaient-ce des ragots ? 

Non, ce n’étaient pas des ragots ! Je confirme que les rapports étaient difficiles un moment. C’est à partir de 2007, lorsque je suis entré au gouvernement. Avant cette date, Sécré et moi étions de très bons amis. Je lui avais même proposé mes services pour l’aider à diriger le Conseil général de Bondoukou, à titre bénévole compte tenu de mes compétences en matière de gestion et de management. Lui est enseignant et n’avait pas forcément les outils nécessaires au début pour le gérer de façon efficace. Puis, nous nous sommes brouillés lorsque je suis entré au gouvernement (rires).

Comment avez-vous vécu la crise postélectorale de 2010 jusqu’à la chute du président Gbagbo ? 

Très mal. Je l’ai vécue très mal parce que je ne pensais pas que pour un fauteuil présidentiel, on en arriverait au massacre qu’on a connu. J’ai vu qu’en politique, des gens n’ont pas de limites. Ce n’est pas la perte du pouvoir que j’ai mal vécue car je savais que de toute façon, notre gouvernement allait tomber. C’est pourquoi dès mars 2011, j’ai préparé ma passation de service. Autant on acquiert le pouvoir, autant on doit s’attendre aussi à le perdre. Et j’étais assez lucide pour le comprendre. Par contre, ce sont les conditions dans lesquelles nous avons perdu le pouvoir que je déplore.

Un point noir dans l’histoire moderne de la Côte d’Ivoire ? 

Quoi qu’on puisse dire, les conditions de changement du pouvoir en 2011 ont laissé de graves séquelles dans le pays. C’est un point noir dans l’histoire de notre pays. Surtout la déportation du président Gbagbo à la CPI [Cour pénale internationale, NDLR]. Cette déportation est une honte pour l’Afrique. Et je sais que des Africains sont gênés par cet acte qui ne nous honore pas. Le choc créé par le transfèrement du président Gbagbo à la Haye a amené l’Union africaine à prendre, pour une des rares fois, une position courageuse contre de telles dérives. Certains États africains ont même menacé de se retirer de la CPI. Les autorités ivoiriennes ont donc mal fait d’envoyer une des leurs là-bas. Il leur appartient d’avoir le courage de demander sa libération pour donner une chance aux Ivoiriens de se réconcilier. On nous a permis de rentrer d’exil, c’est bien. Mais il faut aller plus loin : tant que Gbagbo sera en prison là-bas, certains utiliseront cet argument comme prétexte pour ne pas aller à la réconciliation.

Le technocrate n’a pas caché son ambition de briguer un mandat régional, aux prochaines échéances locales.

Le technocrate n’a pas caché son ambition de briguer un mandat régional, aux prochaines échéances locales.

Comment vous êtes-vous retrouvé en exil ? 

Alors que certains de mes collègues étaient déjà partis en exil, ma femme et moi avions quitté la résidence dans la dernière semaine de mars 2011. Nous logions chez un cousin, quelque part à Abidjan. Les autres membres de la famille – une dizaine de personnes – étaient restés dans la maison que nous avons quittée précipitamment. Je m’arrangeais chaque jour pour aller les voir. Et le 11 avril, j’étais venu prendre quelques affaires lorsque j’ai reçu une alerte faisant état de l’arrestation du président Gbagbo. Deux heures après, mon chef de cabinet m’informe que des hommes armés étaient en route pour mon domicile. Ils n’ont pas tardé à arriver, quelques temps après mon départ des lieux. Croyant que j’étais dans la maison, ils ont fouillé de fond en comble toutes les pièces avant de retrouver les membres de ma famille dans leur cachette. Le drame a été évité de justesse car les assaillants ont tiré à bout portant et ont grièvement blessé un de mes parents. À ce moment-là, plus personne ne répondait à mes appels. Le siège de mon domicile a duré environ une heure et demie. Lorsqu’ils ont quitté les lieux, j’ai pu parler à quelqu’un au téléphone qui m’a dit qu’il y a un blessé. La balle avait cassé son bras gauche et il saignait abondamment. Il était 20 heures et personne ne pouvait sortir. Des coups de feu résonnaient partout. J’ai eu le réflexe d’appeler le ministre Konaté Sidiki.

Vous aviez donc ses contacts téléphoniques ?

Oui. J’avais les numéros de tous ces gars-là puisque nous avions siégé dans le même gouvernement. Pour rappel, je l’avais invité à Koun-Fao dès 2007 et certains collègues me l’avaient reproché. On m’avait critiqué pour avoir invité un rebelle ministre. J’avais expliqué que c’était le seul moyen de briser le mur de méfiance pour rassurer tout le monde. Donc Konaté Sidiki et moi avons gardé de bons rapports. Quand j’ai reçu l’appel qu’il y a un blessé chez moi, l’idée m’est venue tout de suite de l’appeler.

Où était-il ?

Il était à l’hôtel du Golf. Je lui ai dit que les gens ont attaqué ma maison et qu’il y a un blessé grave, il faut intervenir. Environ trente minutes après, il a envoyé quelqu’un prendre le blessé pour l’évacuer. Il a même déboursé 200.000 francs CFA pour les premiers soins du blessé. C’est un témoignage que je ne peux ne pas rendre. Je rends ce témoignage à chaque occasion. Je n’oublierai jamais cela, même si je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils ont fait. Le ministre Sidiki a sauvé une vie. Après, j’ai changé de cachette plusieurs fois. Chaque 24 heures, je changeais de maison. Malgré cela, je sentais que les gens se rapprochaient de moi, on savait où je me trouvais. Finalement, j’ai quitté Abidjan. Le départ n’a pas été facile. Je ne rentrerai pas dans les détails.

Parlez-nous un peu de votre vie d’exilé, monsieur le ministre !

Quand je suis arrivé au Ghana, je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas où aller. Puis nous avons continué à Lomé, au Togo, ma femme et moi. Nous dormions à l’hôtel. Dans l’établissement, j’ai reconnu un agent des renseignements généraux venu de Côte d’Ivoire. Nous avons eu peur pour notre sécurité et nous avons quitté les lieux pour le Ghana. À Accra, nous avions logé quelques temps à l’hôtel et après, on habitait une maison dans un quartier éloigné du centre-ville. C’était pénible. Nous avons fêté la Pâques à Accra, dans des conditions inhumaines. J’ai coulé des larmes ce jour-là. Nous n’avions ni eau ni électricité. C’est dans des bidons que des gens de bonne volonté nous ont apporté de l’eau pour qu’on puisse se laver. Un grand jour comme Pâques et c’est dans un taxi que de la nourriture nous a été apportée afin qu’on puisse manger ! L’ambiance à Accra n’était pas saine. Et comme nos enfants étaient au Maroc, nous sommes allés les retrouver. Arrivé au Maroc, je suis tombé gravement malade et j’ai manqué de peu d’être paralysé. Bref, même à son pire ennemi, il ne faut pas souhaiter ce que nous avons vécu en exil. J’ai payé le prix fort de mon engagement politique.

Comment s’est fait votre retour au pays ? 

De par la position que j’avais auprès du président Gbagbo, j’étais une des cibles du régime. Même en étant à l’extérieur du pays, le régime me traquait. Beaucoup de gens fantasmaient sur une prétendue manne financière que le président Gbagbo m’aurait confiée. J’étais suspecté de financer des projets de déstabilisation du pays depuis Accra, alors que je n’y étais plus depuis des mois. Un mandat d’arrêt avait même été lancé contre moi avec divers chefs d’accusation. Dans ces conditions, il m’était difficile d’envisager un retour au pays. Mais au cours de ses tournées, le président Ouattara a commencé à apaiser son discours en demandant aux exilés de rentrer. Nous l’avons pris au mot. Il a mis en place la CDVR [Commission dialogue vérité et réconciliation, NDLR]. Au même moment, nos camarades qui étaient restés au pays et qui n’étaient pas allés en prison (Amani N’Guessan, Danon Djédjé…) négociaient avec le Premier ministre Ahoussou Jeannot pour normaliser la situation. La sortie de prison du président Affi N’Guessan en août 2013 a contribué à décrisper le climat social. Le pouvoir a rassuré la direction de notre parti sur sa volonté d’aller à la paix. En conséquence, les exilés pouvaient rentrer sans risque d’être arrêtés. Cette seule parole était suffisante pour moi. Mais avant de venir, j’ai eu le ministre Hamed Bakayoko au téléphone qui m’a confirmé que je pouvais rentrer sans crainte. Et je suis rentré.

Avez-vous reçu des menaces à votre retour ? 

Non, je n’ai reçu aucune menace ! Je ne suis pas menacé. Pour la plupart des gens, y compris dans le milieu du pouvoir, je ne suis pas querelleur. Évidemment, comme j’appartiens à une famille politique, tout ce qui se passe dans cette famille rejailli aussi sur moi. J’ai un procès qui suit son cours.

Comment s’est passé votre accueil au village, chez vos parents ? 

L’accueil a été chaleureux, enthousiaste. J’étais très content d’être parmi les miens. Il y avait du monde venu de toute part : Tanda, Bondoukou… Un chef de village m’a dit : « Komoé, tu vois le monde ? Tu pensais qu’on t’avait oublié ? Non, on ne t’a pas oublié. C’est à cause des actes que tu as posés dans la région quand vous étiez aux affaires ». Cette phrase m’a marqué. Aux funérailles de ma mère, il y avait aussi un monde fou. Par contre, le pouvoir n’a envoyé aucun représentant. J’ai déploré ce fait. Alors, quand j’entends certains de nos camarades dire que le pouvoir nous a achetés, je trouve cela inutilement méchant. Mais individuellement, des personnalités sont venues me saluer. Par exemple, le ministre de la Défense. Le ministre Adjoumani a envoyé quelqu’un. La plupart des cadres du Zanzan m’ont assisté. Cette bienveillance à mon égard m’a donné des raisons de poursuivre la politique. C’est cela, l’avantage de la politique : être avec le monde. Les meilleurs moments pour un homme politique, c’est être avec le monde.

Avez-vous tiré un enseignement particulier de la crise et de votre exil ?

J’ai compris qu’on peut être bien placé et se retrouver au bas de l’échelle à tout moment. Cela ne dépend pas de nous. Le premier enseignement que j’ai tiré de mon exil, c’est l’humilité. Être humble en toutes circonstances. Quelque soit la position qu’on occupe, il faut rester humble, il faut accepter tout le monde, il faut respecter les adversaires du moment. L’exil m’a permis de me remettre en cause. Si après l’exil, tel que je l’ai vécu, on ne devient pas humble, c’est qu’on a un problème. Avant, je n’étais certes pas arrogant, mais l’exil m’a rendu encore plus humble et bienveillant. Au plan politique, j’ai une meilleure perception des choses.

Propos recueillis par OSSÈNE OUATTARA