Tout se ramène à la sorcellerie. Au village comme en ville. Chez l’analphabète comme l’intellectuel : tous avalent la théorie populaire de la sorcellerie. On voit l’action des sorciers partout : dans la maladie, la mort, l’infirmité, l’accident de la circulation, l’échec, la pauvreté, la réussite… Et si le vrai sorcier n’est pas celui qu’on croit ?
La sorcellerie. Ce mot hante les esprits, en Afrique. L’élève et l’étudiant évoquent l’action des sorciers pour justifier leurs échecs. L’ivrogne croit savoir le responsable de son alcoolisme : le sorcier du village. « Même quelqu’un qui a la chair amère accuse les sorciers de vouloir le manger », plaisante un cadre du Zanzan.
En 2003, des jeunes gens ont fait parler d’eux dans le département de Bondoukou. Ils se faisaient appeler « Dabila » et s’étaient donné un rôle : démasquer les sorciers dans les villages. Dans de nombreuses localités, des vieilles femmes ont été mises nues, forcées de s’accuser publiquement de sorcellerie et avouer les noms des personnes qu’elles auraient tuées en mangeant leurs âmes. Ces vieilles ont ensuite été battues et humiliées. Des scènes horribles qui se sont déroulées sous les yeux de leurs enfants, souvent plus âgés que les bourreaux de leurs mères. Ces solides gaillards n’ont pas réagi en portant secours à celles qui les ont mis au monde, les ont nourris jusqu’à ce qu’ils deviennent des hommes. À Kouassi-Kouman, dans la sous-préfecture de Tabagne, une femme a été tuée par ces « démasqueurs » de sorciers. Ces faits d’une extrême gravité, loin d’être unique en Côte d’Ivoire.
Dans son livre La sorcellerie n’existe pas, le professeur Boa Thiémélé Ramsès fait écho de 2 articles du journal Fraternité matin. En 2008, sous la présomption de la sorcellerie, des actes inhumains ont été perpétrés à Sahuyé, village de la sous-préfecture de Gomon, dans le département de Sikensi. Soupçonné d’être responsable de la mort de quelqu’un, un jeune homme a été pris à partie par un groupe de jeunes de son village. Solidement ligoté, A. G. Clément, en présence de ses parents impuissants, et en dépit de ses supplications, a été conduit au cimetière. Dans la fosse rectangulaire creusée à la dimension du cercueil du défunt, A. G. Clément a été étendu sur le dos. Sous les clameurs du public, le cercueil a été déposé sur lui tandis qu’il fixait des yeux ses bourreaux. Sans compassion aucune, ses bourreaux ont, avec des pelles, recouvert la tombe avec de la terre. Un homme accusé de sorcellerie vient d’être enterré vivant sous le cercueil contenant sa présumée victime.
En 2009, le même journal a relaté un événement similaire, à Diokolilié, dans le département de Lakota. Cette fois-ci, le cercueil du défunt porté par des jeunes du village « a désigné » D. G. Luc comme le meurtrier d’un instituteur. Des jeunes révoltés par cette « révélation » se sont rués sur le présumé coupable pour le battre à sang avant de procéder à son inhumation alors qu’il était encore en vie. Un autre qui devait subir le même sort a été sauvé de justesse par des gendarmes alertés par un généreux individu.
On aurait tort de réduire ces attributions du mal à la mentalité des communautés villageoises, peu instruites et donc enclines à la superstition. Des personnes qui sont allées à l’école s’y mettent. Après avoir assisté à la cérémonie de la « Flamme de la paix » à Bouaké, Kuyo Serges, secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), décède des suites d’un accident de la circulation. Le 15 septembre 2007, lors de son inhumation à Logobia (Gagnoa), les étudiants, selon un rituel traditionnel, portent le cercueil de leur camarade et entament l’interrogation du défunt aux fins de désigner le responsable de sa mort. Le cercueil ne tarde pas à « découvrir » le tueur : l’oncle du défunt. Sous prétexte de venger leur camarade, victime, selon eux, de la confrérie des sorciers dont l’oncle serait un membre, les étudiants ont mis le feu à une partie du marché du village, saccagé des habitations et des magasins, détruit les biens des paysans. La horde d’étudiants surexcités a battu à sang des présumés coupables, accusés d’avoir, par des pratiques de sorcellerie, provoqué la mort de leur camarade par accident de voiture.
Que retenir de ces actes, sources de désordre ? La sorcellerie est utilisée comme principe d’explication de tout ce qui nous arrive. En Afrique, le commun des mortels invoque la sorcellerie pour justifier la réussite sociale, la mort, le succès et les échecs, les conflits et les perturbations sociales.
Il ne sert à rien d’avoir peur de ceux que la société ou la rumeur publique qualifie de sorciers. Mais plutôt avoir pitié de ces individus, victimes de la pensée dominante, dont certains finissent par se convaincre qu’ils sont bel et bien sorciers. Très souvent, ce n’est pas la sorcellerie que nous n’arrivons pas à comprendre. Mais tout ce que nous avons du mal à comprendre que nous qualifions de sorcier. Et des Africains voient dans les phénomènes culturels de leur continent le résultat d’un mystère spécifique. « Vous savez, nous sommes en Afrique ! », répètent-ils à l’envi. On fait comme si en Afrique, les phénomènes et les actes humains obéissent à une loi différente de la loi universelle. Comme s’il y a une spécificité africaine appelée sorcellerie.
Qui est désigné sorcier, le plus souvent ?
Les accusations de sorcellerie expriment des pulsions et des tensions refoulées. L’agressivité contenue est destructrice des liens sociaux. Elle doit donc se polariser sur le sorcier, qui devient un bouc émissaire. Le sorcier devient une victime sacrificielle chargée du mal social. Les procès en sorcellerie et la mise à mort publique du sorcier sont des ritualisations tendant à transférer les angoisses et les conflits sur la victime arbitraire. C’est comme si avec la mort du prétendu sorcier, la communauté se retrouve, d’un seul coup, vidée de tout antagonisme.
En général, l’accusation de sorcellerie se porte sur des personnes spécifiques : le solitaire (celui qui vit à l’écart des autres), les démunis (les vieux et vieilles encombrants, laids, plus bons à rien car affaiblis par l’âge, à la charge des plus jeunes qui doivent les nourrir. On refuse de faire son devoir en accusant ses parents de sorciers), les « extrémistes » (ceux qui sont aux extrêmes. Le trop est signe d’inquiétude. Trop pauvre, on risque d’être accusé. Mais également trop riche, on attire le regard. « Il a tué son fils en sorcellerie pour avoir de l’argent », suppute-t-on). Les personnes handicapées sont aussi taxées de sorcières par l’imagerie populaire. « C’est parce qu’il est foncièrement mauvais que Dieu l’a rendu infirme », affirment d’autres. À cette liste, ajouter ceux que la conscience collective réprouve : les femmes stériles, les enfants difformes, les mal vus dans leurs familles…
Les faux aveux
Sur quoi fondons-nous pour dire que tel est sorcier ? Sur rien d’universellement valable. Pour justifier les actes d’accusation de sorcier, on renvoie le plus souvent aux aveux. « Lui-même a avoué avoir mangé son neveu en sorcellerie », accuse-t-on. Pour l’esprit éveillé, l’aveu n’est pas preuve de culpabilité. Avouer une faute, ce n’est pas avoir réellement commis cette faute. On peut avouer des crimes qu’ont n’a pas commis. Dans son livre, le professeur Boa Thiémélé cite un extrait des travaux de Saul M. Kassin, spécialiste de la psychologie des aveux. Aux États-Unis, 20 à 25 % des prisonniers ont été disculpés grâce à des analyses ADN. Alors qu’ils avaient été condamnés après des aveux. Mis dans des conditions extrêmes, des individus ont avoué de leur plein gré un crime qu’ils n’ont pas commis. Ils l’ont fait pour des raisons pathologiques ou pour protéger des personnes menacées.
Des techniques d’interrogatoire conduisent quelquefois certains suspects à avouer un crime dont ils ne sont pas responsables. Soit ils espèrent ainsi échapper à une situation stressante, soit éviter une punition ou obtenir la clémence.
Les procès en sorcellerie sont des semblants de procès. Les accusés ne bénéficient pas de la présomption d’innocence. Ils ne sont guère protégés. Leur culpabilité est programmée avant les audiences. Considérés déjà coupables, ils assistent impuissants à la confirmation publique d’une décision prise la veille, à leur insu. C’est ce qui s’est passé, en 2003, à Amodi, dans la sous-préfecture de Tabagne.
La relative réussite sociale d’un habitant de ce village a créé une jalousie chez la majorité des villageois. Des histoires sont racontées sur l’homme, dans le seul but de le salir. Les dénonciations calomnieuses à la gendarmerie qu’il a enterré un enfant dans sa maison n’ont pas réussi à l’anéantir. Finalement, les notables du village, de concert avec certains fonctionnaires, sont allés solliciter les fameux Dabila – « démasqueurs » de sorciers – pour aller humilier l’habitant indésirable. Ce dernier a eu la vie sauve grâce à un villageois. Qui l’a discrètement mis au courant du piège qui se mettait en place contre lui. Ironie de l’histoire, c’est ce paysan qui a mis fin au phénomène des « Dabila », en portant plainte à la cour royale de Tabagne.
Il est donc facile de voir que la sorcellerie se transforme en alibi. Des gens sans scrupules l’utilisent pour dépouiller de leurs biens des personnes sans défense. Dans le département de Bondoukou, les « Dabila » en ont profité pour escroquer beaucoup de villageois apeurés. « Si tu ne me remets pas 50.000 francs, je te désignerai sorcier », menaçaient-ils. Comme si leur donner mon argent me faisait subitement passer du statut de sorcier à celui d’homme bon. Du vol !
Dans les actes de sorcellerie qui ont couramment lieu en Afrique, aucun élément qualifiant la modernité n’est présent. Dans les actes ignobles d’enterrement d’individus vivants, c’est le jugement sommaire d’une foule excitée par la haine qui a raison d’un présumé coupable.
Le véritable « sorcier »
Le professeur Boa Ramsès dresse le portrait du « véritable sorcier » en pénétrant le psychisme de 2 individus qui accusent leurs parents. Écoutons leurs arguments : « Je ne construis pas de maison au village parce qu’il y a des sorciers qui m’en veulent ». L’un des 2 individus est modeste, sans grands moyens financiers. L’autre est suffisamment riche. L’un ne peut pas se bâtir une maison. L’autre peut le faire, mais ne le fait pas. Quand les 2 disent « je n’ai pas voulu bâtir une maison à cause des sorciers », ils veulent donner d’eux-mêmes l’image de victimes innocentes. Non responsables de leur inaction. Ils souhaitent donner à leurs enfants une image rassurante : « papa est un homme bien ». Que des fadaises ! Le modeste individu ne peut pas bâtir une maison. Son incapacité à le faire est dissimulée sous le manteau des sorciers de son village. Le langage lui permet de camoufler son incapacité et ne pas perdre la face devant ses propres enfants. Ce père est victime de sa relative pauvreté qu’il veut pas assumer.
Par contre, le papa ayant les moyens de se construire une maison, mais ne le fait pas, est le véritable sorcier. Il se cache derrière l’argument de la sorcellerie. « Je ne peux pas construire une maison au village » doit être entendu d’une autre manière : « je ne veux pas construire une maison au village ». Le sorcier, c’est donc celui qui peut, mais ne veut pas. Le véritable sorcier, ce ne sont donc pas les parents restés au village. Mais notre riche homme de la ville qui est de mauvaise foi. Il refuse de partager avec les autres, alors que les moyens ne lui font pas défaut.
L’individu aux revenus modestes et le riche sont dans un déni de la réalité. L’un veut, mais ne peut pas. L’autre peut, mais ne veut pas. Dans les 2 cas, on retrouve de la mauvaise foi. En effet, ils cachent une vérité déplaisante : l’incapacité pour l’un, la volonté pour l’autre. Ils se mentent à eux-mêmes en masquant la vérité. La sorcellerie, c’est finalement nos mensonges, nos mauvaises pensées. Et le sorcier, nous tous. « Soutenir l’existence de la sorcellerie en la forme accoutumée et populaire, c’est cautionner la barbarie et l’ignorance », conclu Boa Thiémélé Ramsès. C’est permettre une violation des droits de l’Homme.
OSSÈNE OUATTARA
Bravo pour la conclusion vraiment pertinente de votre article !
Vous connaissez peut-être le livre de l’auteur Mexicain Don Miguel Ruiz intitulé « Les 4 accords Toltèques »…
Si ce n’est pas encore le cas, je vous invite à le découvrir! Je pense sincèrement que ça devrait vous plaire.
Bonne continuation en tout cas !
Juste une question :
Est-ce que Monsieur Assène Ouattara et celui qu’il cite croient-ils à l’existence des êtres invisibles à l’oeil nu ?
Cette question doit avoir sa réponse ici. Car suivre et appliquer la pensée occidentale de.cette manière-là est extrêmement dangereux pour tout apprenant.