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mardi 21 janvier 2025
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BONDOUKOU : Ces trafiquants d’anacarde qui défient le gouvernement

« Gataire », un des grands exportateurs illégaux présumé d’anacarde à Bondoukou

La peur avait gagné les trafiquants de noix de cajou après le passage et les mises en garde du ministre de l’Agriculture et du développement rural. On se souvient que d’importants moyens logistiques (affrètement d’un hélicoptère) avaient été mis à disposition de Kobenan Kouassi Adjoumani pour parcourir les régions de l’Est (Indénié-Djuablin, Gontougo et Bounkani) afin de sensibiliser sur les inconvénients de la fuite de l’anacarde vers le Ghana voisin. Le langage de fermeté du ministre à Agnibilikrou et devant ses « parents » de Koun-Fao, Tanda, Assuéfry, Bondoukou et Bouna, avait dérouté plus d’un trafiquant. On a cru qu’avec son implication en personne, aucun kilogramme de noix de cajou ne traverserait indûment la frontière Est durant la campagne 2020.

Mais les mauvaises habitudes ont la peau dure. Le relâchement dans le contrôle sur le terrain contrarie l’application des décisions du gouvernement de lutter contre la fuite des produits vers le voisin.  Conséquence : le trafic d’anacarde de la Côte d’Ivoire vers le Ghana a repris. Vu les convois de dizaines de camions qui quittent Bondoukou pour le Ghana, aucun Commandant des hommes en uniformes présents dans la ville ne peut [raisonnablement] dire qu’il n’est au courant de rien. Pour que les forces de police baissent la garde, les trafiquants sortent leur arme redoutable : le cash, l’argent frais. Aucun chef des éléments censés empêcher l’exportation illicite de l’anacarde n’y résiste.

C’est le même mode opératoire chaque année : 2 ou 3 camions sont saisis en début de campagne pour montrer sa bonne foi. On les exhibe et la presse en parle. Les forces de sécurité sont félicitées. En milieu de traite, le trafic reprend. Les hommes en armes deviennent « subitement aveugles » pour ne plus rien voir. Ils baissent la garde. Et les produits traversent les corridors.

Les premières sanctions

« Il y a une loi sous forme d’ordonnance qui a été prise. Elle dit que celui qui sera arrêté en train de faire du trafic d’anacarde sera mis en prison et sa cargaison va être vendue.  Je suis venu vous parler. À partir d’aujourd’hui, faisons attention ! Il y a une loi qui est derrière nous », avait menacé, le 1er février, le ministre de l’Agriculture, à Bondoukou, dans une salle de la préfecture pleine d’acteurs locaux de la filière cajou. Deux jeunes gens sont tombés sous le coup de cette ordonnance, quelques jours seulement après la mission de sensibilisation conduite par Kobenan Kouassi Adjoumani. L’un a été pris à Transua avec 3 sacs de noix, équivalant à 235 kilogrammes. L’autre a été arrêté à Soko. Tous tentaient d’acheminer leurs produits au Ghana pour les vendre. Conduits à Bondoukou, ils ont été condamnés par le Tribunal à une lourde peine de prison ferme : 10 ans pour chacun. Le juge avait qualifié de « crime économique » leur tentative frauduleuse d’exporter l’anacarde par les voies terrestres. Les 2 malheureux dorment en prison.

1 poids 2 mesures

Dix ans d’emprisonnement à cause de 235 kilogrammes ? Des condamnations sévères. Mais pas assez dissuasives pour les caïds qui sont des « cas d’exception ». C’est-à-dire ceux qui ont duré dans le trafic et ont l’orgueil d’invincibilité. Ils narguent. Ils ont de quoi appâter : beaucoup de cash. Le transporteur Gataire est l’un des auteurs présumé du trafic. Plusieurs sources ont affirmé que c’est lui et son groupe qui, cette année, ont commencé l’exportation à grande échelle de l’anacarde par voie terrestre vers le Ghana. Avec ses camions remorques, il est spécialisé dans le transport des produits vers le pays voisin, au départ de Bondoukou via Agnibilékrou. Dans cette ville de l’Indénié-Djuablin, il est épaulé par un baron local du trafic. Il répondrait au nom de Rachidi.

Dès que les informations nous sont parvenues, nous avons joint au téléphone Gataire, le trafiquant présumé, pour avoir sa version. Aussitôt la conversation engagée, l’homme nous a rabroué avant de nous raccrocher au nez. Prétextant qu’il est en deuil. Il n’a plus répondu à nos multiples rappels. Les messages électroniques que nous lui avons envoyés sur son téléphone sont restés sans suite. Serait-il trop sûr de lui ? Rien d’étonnant. Le lundi 16 mars, date de notre conversation écourtée, nos sources ont rapporté avoir vu ses semi-remorques chargés de cajou et attendant l’heure de départ. Il était 16h30.

Comment les camions franchissent facilement les différents corridors tenus par les forces de sécurité ? « Tout est payé d’avance et les numéros d’immatriculation sont connus des éléments postés aux différents barrages. Les camions ne s’arrêtent donc pas », nous a confié quelqu’un qui est bien introduit dans le milieu.

Vu que Gataire et ses amis n’ont jamais été inquiétés, en dépit de la « tolérance zéro » décrétée par le gouvernement à l’encontre des contrevenants, un autre groupe de trafiquants [plus puissant] s’est levé pour se mettre en travers de son chemin. Créant du coup 2 groupes « mafieux » rivaux à Bondoukou. Ils se disputent les voies pour exporter leurs chargements d’anacarde vers le Ghana. Chaque camp veut avoir l’exclusivité du trafic. Même aux heures du couvre-feu national imposé par le président de la République pour circonscrire la propagation de la pandémie du Covid-19, le ballet des camions ne connaît pas de répit. Des contrebandiers convaincus que rien ne peut leur arriver.

Les stocks de riz dans les boutiques de Bondoukou se mêlent au trafic. Ils sont achetés puis acheminés au Ghana, en ces temps d’angoisse sanitaire où il faut préserver les réserves alimentaires pour les besoins nationaux. Si rien n’est fait pour stopper la sortie, la ville manquera de riz dans quelques jours.

À Tanda, un autre gros bonnet du trafic bénéficie du même traitement de faveur de la justice. Le 25 février, un chargement de 40 tonnes, appartenant au Libanais Soufri, a été intercepté à Tankessé à 3h du matin alors qu’il faisait mouvement vers le Ghana. Le camion a été conduit au Groupement d’intervention mobile (GMI) à Bondoukou. Le véhicule et sa cargaison sont toujours en souffrance dans le camp des policiers. Mais l’homme n’a pas été inquiété par la justice. Joint lui aussi au téléphone, il a refusé de nous parler.

Le projet d’une zone agro-industrielle menacé

Ce commerce frauduleux enrichit une poignée d’individus, mais constitue un préjudice financier pour la région et le pays. Le phénomène s’est intensifié alors même qu’actuellement dans le Gontougo, le Conseil du coton et de l’anacarde (CCA) procède au reprofilage lourd de certaines routes. Plusieurs dizaines de kilomètres ont déjà été réparés. Ces travaux d’envergure s’inscrivent dans un projet global de réhabilitation de 2.100 kilomètres de pistes rurales à l’échelle de toutes les zones de production pour permettre l’accès des noix de cajou au marché intérieur. Ces investissements seraient impossibles sans les taxes collectées sur chaque kilogramme d’anacarde légalement vendu.

Images des travaux de réhabilitation d’axes routiers entrepris dans le département de Bondoukou par le Conseil du coton et de l’anacarde

L’autre inconvénient de la fuite de l’anacarde de Bondoukou vers les pays frontaliers, c’est de voir s’éloigner l’installation effective de la plateforme industrielle de la ville aux « mille mosquées ». C’est un important projet pour le gouvernement qui mise sur la transformation locale des noix brutes de cajou afin de leur donner de la valeur. Au bénéfice de tous les acteurs locaux de la filière. En particulier les producteurs qui auront un meilleur prix d’achat. En effet, la noix de cajou prend plus de valeur lorsqu’elle est transformée. C’est pourquoi l’État a réglé le problème de la faiblesse de la tension du courant électrique à Bondoukou, avec  la construction de lignes très haute tension et d’un poste-source de 15 kw. Condition obligatoire à l’installation d’une industrie lourde. Noble ambition étatique que certains veulent sacrifier sur l’autel de leurs intérêts égoïstes.

OSSÈNE OUATTARA




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