Le nom d’Abran N’Guettia rime avec engagement social, à Kouassi-Datékro. La jeune femme n’est ni une élue ni une figure politique locale. Mais elle jouit d’une grande notoriété. Cette trentenaire est active. Ses actions au profit de la communauté ne se comptent pas. Dans une région nord-est où les rares filles scolarisées abandonnaient l’école pour aller être servantes à Abidjan, le parcours, la réussite et l’activisme de mademoiselle N’Guettia font d’elle une exception. Elle fait figure de modèle pour la jeunesse de chez elle. Et au-delà.
« Kouassi-Datékro ne sera pas le cordonnier mal chaussé ». C’est en termes que la jeune chef d’entreprise commence l’entretien. Ce qu’Abran N’Guettia est devenue, elle la doit à la terre qui l’a vu naître : Nambo Dongbo, village sis à 8 km de Kouassi-Datékro. Ses liens avec cette sous-préfecture, si forts qu’elle ne peut rester bras croisés face aux difficultés rencontrées par les habitants. L’argent qu’elle gagne, elle le partage en finançant la réalisation de projets profitables à tous. Réponse à l’appel du devoir.
Abran N’Guettia fait beaucoup. Dans plusieurs localités de la circonscription de Kouassi-Datékro, elle a procédé à des reprofilages de routes, fait don de chaises, bâches, tables-bancs. Son grand projet en cours est la construction d’une école primaire de 3 classes à Diabokro, à 16 km du chef-lieu de sous-préfecture. Ces genres de réalisations sont souvent le fait de ministres, maires, députés, conseillers régionaux. Ils en tirent des bénéfices politiques. Mademoiselle N’Guettia n’est pas de ceux-là. Son engagement social au service des couches défavorisées est un don de soi. Rien ne prédisait un destin entrepreneurial à l’étudiante de criminologie, aujourd’hui citée en exemple en Côte d’Ivoire pour son leadership dans le milieu des femmes.
Du commerce de jus de gingembre à la vente de véhicules
Titulaire d’une maîtrise en criminologie à l’ex-université de Cocody en 2007, Abran N’Guettia a eu un parcours professionnel atypique. En année de licence en 2006, elle gérait une cabine téléphonique et vendait des cigarettes, après les cours. Une fois la maîtrise en poche, elle est employée dans une société. Pendant ses heures de pause, entre midi et 14 heures, la jeune femme vend des habits. « J’allais de bureau en bureau à la rencontre des clients. Je vendais pour arrondir les fins de mois », se souvient-elle. Vu la grande qualité des vêtements, les clients les arrachaient presque. « Il m’arrivait d’avoir 400.000 francs CFA par mois », affirme-t-elle.
En 2010, éclate la crise postélectorale. Mademoiselle N’Guettia a du mal à vendre ses habits. Son commerce prend un coup. Elle quitte Yopougon elle où vit pour emménager à Williasmville, près de l’hôpital HMA. Elle constate que tout autour d’elle, exercent mécaniciens et menuisiers. Elle achète un congélateur et commence la vente de jus de gingembre, citron,… « Avec un investissement de 10.000 francs CFA, je réalisais un bénéfice pouvant tourner autour de 30.000 francs », s’étonne l’ancienne élève du collège moderne de Bondoukou.
Les jours passent. Au quartier, l’excellence des jus de N’Guettia lui donne une notoriété. Elle veut saisir l’opportunité pour s’élever encore plus haut. Le secteur auquel elle s’intéresse est considéré comme celui des hommes. La jeune femme approche un mécanicien et lui fait part de sa volonté de vendre des véhicules. Elle est mise en contact avec un importateur. Ce dernier lui fait tout de suite confiance. Avec lui, la native de Nambo Dongbo apprend les rouages du métier de l’automobile d’occasion. Depuis 2015, elle travaille à son propre compte. Elle a fondé et dirige Auto style & Entreprises. Cette société, qui emploie 11 personnes, a pour objet la vente et location de voitures, assurance auto, vente et livraison de matériaux de construction, construction et réhabilitation de bâtiments, travaux publics, gestion de biens des personnes, location de main-d’œuvre, etc.
Activisme social
L’engagement social de N’Guettia Béatrice remonte à ses années d’université. Elle a dirigé l’association des élèves et étudiants de Nambo Dongbo en tant que vice-présidente. Puis, a occupé le poste de trésorière des ressortissants du village à Abidjan. Avec d’autres amis, elle révolutionne la gestion des structures associatives locales en les rendant plus dynamiques.
Grâce à elle, plusieurs actions sont posées. En 2008, don d’équipements sportifs (filets, maillots, ballons) à l’équipe locale de football. Quatre années après, l’école primaire du village est alimentée en électricité par l’achat d’un compteur. Plusieurs bouilloires sont remises, de même que l’achat de 2 grandes bâches pour servir d’abri lors des cérémonies populaires.
En septembre 2016, l’activiste sociale finance personnellement l’achat de 130 chaises qu’elle donne aux jeunesses de 2 villages. En janvier 2017, elle met fin à l’isolement de 3 hameaux en supportant seule le coût des travaux de reprofilage des 3 km de piste qui y mènent. « L’impraticabilité de cette route faisait que les paysans avaient du mal à vendre leurs produits. Quand des acheteurs vont dans ces hameaux, le prix qu’ils proposent aux paysans était dérisoire. Comme raison justificative, ils parlent de l’inaccessibilité des lieux », révèle N’Guettia Béatrice.
Dans le domaine religieux, l’ancienne étudiante de criminologie se fait aussi remarquer. En mars, elle prend en charge les ¾ des dépenses liées à la pose de la toiture de l’énorme église catholique de Nambo Dongbo. Les cotisations levées depuis 7 ans par les fidèles n’avaient pas suffit à doter l’édifice d’un toit. Lors du Ramadan, elle offre 500 kg de sucre aux musulmans de 7 localités.
Abran refuse rarement les sollicitations. Les jeunes de Diabokro lui ont fait appel pour parrainer la fête de Pâques 2017. Invitée d’honneur de la célébration du 30ème anniversaire du restaurant Angel à Kouassi-Datékro, en juin 2017, elle remet 25 chaises à la gérante. En août, elle parraine la fête marquant la sortie officielle de l’Union des jeunes pour le développement du Bini-Abondji. Durant cette cérémonie, elle offre des kits aux présidents de jeunesse des 40 villages de ce canton.
En reconnaissance de ses actions, les jeunes de la sous-préfecture décident l’institution d’un Prix qui porte son nom. Le Prix Abran N’Guettia du meilleur jeune entrepreneur du Bini-Abondji se décline en formation, suivi-évaluation et récompense en nature. À son lancement, elle offre des tondeuses à des coiffeurs.
La dernière réalisation en cours de l’activiste est la construction de la première école de Diabokro. Un bâtiment de 3 classes qui ouvrira à la prochaine rentrée scolaire. L’implication de la jeune femme dans des projets communautaires lui vaut le surnom « Tantie Béa ».
Partage de son leadership féminin
Régulièrement, Abran N’Guettia est appelée par des ONG nationales et internationales, des structures étatiques à partager son leadership féminin. Elle anime des conférences, forme à l’entrepreneuriat. En 2016, elle est proposée pour un séminaire de formation axé sur la bonne gouvernance. Cette rencontre, initiée conjointement par la Fondation du parti du Centre Suédois (CIS) et l’Institut Général Tiémoko Marc Garango pour la gouvernance et le développement (IGD) du Burkina Faso, est dédiée aux jeunes politiques de l’Afrique de l’Ouest. Elle fait partie du Program for Young Politicians in Africa (PYPA). La formation s’est déroulée simultanément en Côte d’Ivoire, au Togo et au Sénégal. Mademoiselle N’Guettia a glané des Prix.
Projets futurs
La jeune femme leader a plusieurs autres projets qui lui tiennent à cœur. À très court terme, elle compte regrouper et former la jeunesse à la création d’activités génératrices de revenus. Fabrication de briques en dur pour les garçons, production de savon artisanal pour les filles. L’activiste veut rendre plus performant le système de soins dans les villages. Pour cela, elle s’appuiera sur les agents de santé communautaire. N’Guettia veut aussi doter les villages de latrines publiques saines. Surtout dans les établissements scolaires et secondaires, pour éviter aux élèves de contracter des infections.
Faciliter la scolarisation des enfants défavorisés du milieu rural reste un des grands défis de « Tantie Béa ». Femme au look naturel. Son exemple montre que le sacrifice de soi pour les autres n’est pas fonction de l’âge. Ni réservé aux seuls politiques.
OSSÈNE OUATTARA